Je me glisse dans la peau d'une journaliste-détective et vous dévoile les quelques secrets qu'Isabelle Bauer a bien voulu nous livrer.
Prénom : Isabelle
Nom : Bauer
Particularités : complètement philoménale du soir au matin
Métier : éditrice, éditions de jeunesse Philomèle
Entretien
Pouvez-vous nous parler
de votre parcours professionnel ? De vos études ?
J’ai
fait des études de Lettres modernes tout en commençant à travailler pour des éditeurs
généralistes : j’ai fait des lectures de manuscrits, des comptes-rendus
pour les comités de lectures, des réécritures, du « ghost writing ».
Par la suite, après un long passage dans la presse parentale, je suis revenue à
l’édition.
Vous vous êtes tournée
vers l’édition jeunesse en 2009. Quel a été le déclic ?
Le
souvenir d’un rêve ancien, le sentiment d’être prête à le réaliser et un peu
d’argent de côté.
Quelle serait votre
vision de la maison d’édition idéale ?
Je
ne pense pas qu’elle puisse exister. A titre personnel, l’idéal serait de
continuer comme je le fais jusqu’à présent, c’est-à-dire garder mon
indépendance, continuer à travailler « en équipe » avec les
auteurs/illustrateurs, à être émerveillée par leurs talents.
Vous avez été journaliste,
cette profession a-t-elle changé votre vision du monde éditorial ? Que
vous a-t-elle apportée mis à part des qualités rédactionnelles et
d’analyse ?
Non,
elle n’a pas changé ma vision du monde éditorial. En dehors, il est vrai, d’un
enrichissement sur le plan de l’écriture, j’y ai appris beaucoup sur le
développement de l’enfant puisqu’une grande partie de mon travail consistait à
interviewer des spécialistes dans ce domaine.
Comment créer une ligne
éditoriale ? Quelles ont été vos sources d’inspiration (maisons d’édition,
albums, rencontres…) ?
Mes
sources d’inspiration sont une passion-fascination pour le langage, sa
créativité, sa plasticité, ses subtilités, sa grammaire… C’est donc tout
naturellement que s’est imposée l’envie de proposer des histoires jouant sur le
langage, sur ses sonorités, ou d’une belle exigence littéraire. Je pense d’ailleurs
que les enfants sont très exigeants: découvrir, apprendre, développer sa
pensée, c’est une pulsion de vie. C’est la raison pour laquelle, également, je
préfère les histoires de fiction, qui ouvrent à l’imaginaire et donnent de
l’espace à chaque enfant pour déployer le sien, à sa façon et selon ses
besoins. Le « prémâché » me hérisse, c’est-à-dire ces livres comportant
dix mots de vocabulaire de peur que le petit lecteur ne les comprennent pas
tous. Ou qui traitent d’un quotidien que les parents sont plus à même de
discuter avec leur enfant.
En
ce qui concernent l’esthétique, ma mère a fait les métiers d’art, peint toute
sa vie, se passionnait pour les couleurs et disposait d’une bibliothèque
regorgeant d’ouvrages d’art. Incontestablement, cela m’influence dans mes choix
d’illustrations.
Comment avez-vous
appris le b.a.-ba de l’édition ? (livres, rencontres, emplois dans des
maisons d’édition…)
De
mes expériences passées chez les éditeurs pour lesquels j’ai travaillé, j’ai
acquis des notions sur les rouages du monde de l’édition et sur l’éditorial. Le
reste, c’est-à-dire les questions de fabrication, de gestion, de mise en page,
etc., résultent d’un apprentissage solitaire.
Est-ce un plus d’être
autodidacte ?
Absolument !
Tout ce qui s’apprend par soi-même se retient bien. Et toute erreur ne peut
être imputée à quelqu’un d’autre, ce qui favorise réflexion et remise en
question. En outre, je pars du principe que le jour où il me sera possible
d’embaucher, je serai plus à même de savoir ce que je veux et peux demander à
la personne.
Comment choisissez-vous
vos auteurs et illustrateurs ? En fonction de quels critères ?
Pour
leur authenticité, leur sincérité dans leurs œuvres, leur capacité à créer un
univers bien à eux qu’ils savent partager. Ils sont capables d’une grande
proximité instinctive, naturelle avec le lecteur, sont exigeants tant dans le
sujet qu’ils traitent que dans le travail lui-même.
Comment
sélectionnez-vous les manuscrits ?
Au
coup de cœur émotionnel, sensoriel, et intellectuel. Mais il m’est arrivée de
renoncer à des projets que je trouvais magnifiques et de grande qualité parce
qu’ils étaient trop éloignés de ce que je publie habituellement. Construire un
catalogue demande une certaine cohérence dans les choix qui sont faits.
Vous travaillez seule,
comment s’organise-t-on ? Comment travaille-t-on de chez soi ?
J’ai
toujours aimé travailler seule. Plus efficace, plus rapide. Et j’aime la
solitude pour ses vertus créatives. Côté organisation, je ne suis pas un modèle
du genre… Disons que j’ai appris à faire le tri entre les urgences.
Y a-t-il des règles à
mettre en place afin de conserver une certaine discipline dans son
travail ?
Une
seule en ce qui me concerne : à l’heure du premier café, le matin,
visualiser les premières urgences du jour ! Et les garder en tête car la
méthode de faire des listes ne marche pas chez moi.
Comment combinez-vous
vos deux métiers d’éditrice et d’auteur jeunesse ? Avez-vous actuellement
le temps d’écrire ? En ressentez-vous le besoin ?
Je
me sens bien plus éditrice qu’auteur jeunesse. Mes propres textes sont anciens
et je n’ai plus le temps d’écrire. Oui, cela me manque.
Comment avez-vous créé
votre réseau professionnel ? Uniquement par le biais de salons du
livre ? Et avez-vous le temps de l’entretenir ? Comment ?
Petit
à petit, de rencontres en rencontres, y compris virtuelles, sur le Net. Les
salons sont souvent de magnifiques occasions de discussions, de prises de
contacts. Par ailleurs, j’utilise les réseaux sociaux. Mais je n’ai pas
beaucoup de temps à y consacrer. Enfin, les premiers temps surtout, j’ai
beaucoup visités de libraires. Des liens solides se sont tissés avec certains
d’entre eux.
Publier pour les
enfants est un acte fort, que souhaitez-vous leur transmettre ?
Le
plaisir, d’abord, d’une balade de mots en mots et d’image en image. J’espère
également que, sans en avoir l’air, chaque ouvrage puisse répondre à leur
curiosité, nourrir leurs réflexions, leur imaginaire… J’imagine chaque livre
comme autant de petites portes que les enfants choisissent d’ouvrir, ou pas. C’est
sûrement très ambitieux ! La lecture stimule la pensée, et la pensée est
indispensable à la construction de soi. Mais comme on ne peut développer sa
pensée sans le support du langage, on en revient à la ligne éditoriale de
Philomèle… Esthétique comprise, car elle est aussi une forme de langage.
Pourquoi avoir choisi
le nom Philomèle ?
J’aime
les oiseaux. Le nom complet du rossignol est « rossignol philomèle ».
Ceci en référence au mythe grec « Procné et Philomèle », une histoire
de deux sœurs que les dieux sauvent d’un horrible bonhomme en les transformant
en oiseaux. La mythologie grecque est passionnante ! Et j’aime beaucoup
mes sœurs.
Comment avez-vous
choisi votre diffuseur ?
Une
rencontre, lors d’un salon, à une époque où je souhaitais justement changer de diffuseur.
J’ai eu la chance qu’il se soit arrêté sur le stand de Philomèle et que les
ouvrages lui aient plu.
Que pensez-vous de la
production éditoriale jeunesse actuelle ? Qu’est-ce-qui vous plaît ou vous
déplaît ? Qu’aimeriez-vous changer ?
Elle
est particulièrement prolifique ! On y trouve le pire comme le meilleur, même si je déplore personnellement certaines publications que je
trouve particulièrement laides ou sans intérêt, il y en a pour tous les goûts.
Donc, c’est une bonne chose, même si l’éditrice déplore toute cette
concurrence… Plus précisément celle des gros éditeurs qui inondent le marché au
dépend des « petits », chez qui on trouve pourtant de vraies
merveilles. Si j’avais le pouvoir de changer certaines choses, je ferais en
sorte que les petits éditeurs indépendants puissent bénéficier d’une meilleure
visibilité et qu’ils soient vraiment défendus en librairie, ce qui n’est pas
toujours le cas. Je ne jette pas pour autant la pierre aux libraires car bon
nombre sont en situation de survie. Il faudrait un engagement politique fort
pour la défense des librairies indépendantes.
Que pensez-vous des
livres numériques pour les enfants ? Pensez-vous qu’ils remplaceront un
jour le livre papier ?
Non,
je ne crois pas que les livres numériques remplaceront les albums papier. L’un
et l’autre peuvent se compléter, s’enrichir mutuellement, pourvu que l’on
continue à faire des albums de qualité et que la lecture numérique ne devienne
pas un « joujou » mais soit un vrai support à la lecture, avec les
enrichissements qu’elle peut apporter à celle-ci. Il n’est même impossible
d’imaginer que les livres numériques favorisent à terme les ventes des albums
papiers.
Que pensez-vous du
devenir de l’édition jeunesse ?
Je
suis optimiste : le plaisir de la lecture est inépuisable…
Merci à Isabelle Bauer pour ses réponses sincères et captivantes. Je reprends ma peau d'étudiante en édition et j'espère que cette rencontre vous a intéressés. N'hésitez pas à visiter le site des éditions Philomèle ici pour en apprendre davantage sur les albums, les auteures et illustratrices :)